Evangiles, cf. J.J. Duhot, L’affaire Jésus, un quiproquo (Kimé, 2018), p. 11.

Face à un texte important incompréhensible, il est utile de postuler que celui-ci faisait originellement sens et de déterminer ensuite de quelles erreurs de transmission il a pu pâtir. Un exemple fameux est le propos de Jésus que les évangélistes ont rapporté en affirmant qu’il “est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille à coudre qu’à un riche [d’entrer] dans le royaume de Dieu” (Matthieu [19:24], Marc [10,25] et Luc [18:25]). Or chameau se dit gml [gamlo] en araméen, tout comme corde, alors que ces deux mots se ressemblent également en grec, se disant respectivement kamilos et kamélos. Il a donc suffi d’une erreur de copiste de la source grecque commune à ces trois Évangiles pour que ce propos de Jésus devienne absurde, sans que la tradition chrétienne n’ait tenté d’en comprendre la raison. Une telle démarche souligne le fait pourtant évident que tout texte ne peut pas être étudié indépendamment du contexte dans lequel il a vu le jour. Dans le cas du Coran, attribuer à l’ange Gabriel ou au Prophète lui-même les profondes obscurités de la Révélation n’est guère satisfaisant. Il vaut donc mieux sortir de l’étroit cadre purement arabe décrit par la tradition islamique pour considérer les milieux religieusement et linguistiquement complexes qu’on sait avoir été ceux de l’Arabie et de ses confins au début du VIIe siècle.

Dans cet esprit, un philologue exerçant en Allemagne a affirmé sous le pseudonyme de C. Luxenberg que, lorsque les ressources de la philologie arabe restaient impuissantes devant les difficultés non résolues par les commentateurs coraniques, les passages les plus obscurs du Coran prenaient sens si leurs mots problématiques étaient examinés à la lumière de leurs racines syro-araméennes (en les remplaçant d’abord par des termes syriaques homophones, puis, le cas échéant, en modifiant le diacritisme des termes arabes et de leurs homophones syriaques). Dans les sourates sur le paradis, par exemple, des copistes se seraient alors mépris en confondant avec des houris les grappes de raisin d’une clarté cristalline qui auraient été évoqués dans la graphie originelle, tout en représentant néanmoins des délices bien tentantes pour un habitant du désert. Au lieu de “Nous les aurons mariés à des Houris aux grands yeux” [44:54], le texte originel aurait été, selon C. Luxenberg, “Nous leur donnerons une vie facile sous de blanches et cristallines [grappes de raisin]”, une expression qui s’accorderait alors bien mieux avec le verset suivant, “Ils réclameront là toutes sortes de fruits, dans la paix” [44:55], tout comme avec la fin du verset [47:15], Les Pieux auront au Paradis “toutes sortes de fruits et un pardon de leur Seigneur”.

Une telle description évoque d’ailleurs les images poétiques des Hymnes sur le Paradis du Père syriaque de l’Église saint Éphrem de Nisibe (306-373). Au Paradis, expliqua en effet Éphrem, on peut chaque jour cueillir “le fruit qui donne vie à tous. O frères, la grappe de raisin — ce remède de vie”. De même pour l’évocation coranique [56:18-19] de “coupes d’un limpide breuvage dont ils ne seront ni entêtés ni enivrés”, puisque Éphrem compléta sa description d’un Paradis de délices au “Ciel de fruits” et au “sol de fleurs”. Et il ajouta qu’on s’y attable pour “se rassasier sans mets, s’enivrer sans boisson” : fortifiée par ces nourritures qui sont en vérité purement subtiles et spirituelles, l’âme peut alors revêtir “la beauté de l’esprit” alors que “l’esprit revêtira, en son image même, la Majesté [divine]”.